lundi 14 décembre 2009

La banque libre - premier épisode

Nous voilà donc en janvier 1999. Par hypothèse, les 11 Etats de l'Union Européenne ont abrogé toutes les dispositions qui entravent le libre usage de leurs monnaies ou de toute autre forme de paiement sur leur territoire.
(Remarque: il est clair qu'une telle décision est hautement improbable, mais il s'agit ici d'une expérience de pensée, qui aide au minimum à comprendre pourquoi les Etats se refusent à cette décision.)

Leur intention est de laisser chaque citoyen libre d'utiliser la ou les monnaies qu'il préfère, et de laisser éventuellement émerger une ou des monnaies qui recueillent l'adhésion de la majorité.  Il faut donc aussi supposer que dans un premier temps les États n'interviendront pas, si ce n'est pour distendre leurs liens avec les banques centrales.
Tout autre comportement serait incohérent avec leur décision initiale. Mais ils peuvent changer d'avis en cours de route et vouloir intervenir de nouveau, en constatant certaines conséquences qu'ils considéreront comme défavorables et sous la pression de leurs opinions publiques.

A part ça, rien n'a changé. Tous les acteurs continuent à utiliser les mêmes monnaies qu'avant. Les banques centrales existent toujours et peuvent mener chacune leur politique. Les Etats continuent à demander le paiement des impôts et à payer leurs fonctionnaires dans leurs monnaies nationales.

Au départ, les consommateurs et les commerçants, tout comme les banques centrales, vont d'abord vouloir que rien ne change. Dans les zones frontalières et les zones touristiques, les prix sont déjà souvent affichés en plusieurs monnaies : la monnaie locale, le dollar, la monnaie des pays des acheteurs. Il est probable que cet usage se généralisera et qu'un grand nombre de fournisseurs choisira d'afficher dans chaque pays les prix de ses produits dans plusieurs monnaies. Cette situation peut continuer à évoluer lentement, mais ce n'est ni les consommateurs, ni le commerce de détail, ni les banques centrales qui vont être à l'origine d'un mouvement.

Il n'est d'ailleurs pas impossible que cette situation perdure. On aurait ainsi prouvé que le système convient aux acteurs et que les dispositions restrictives étaient inutiles.

A mon avis, les premières à réagir seront les entreprises, et d'abord évidemment les plus internationales,  qui voudront d'abord simplifier leurs règlements internes entre  établissements sans reporter les problèmes vers leurs filiales nationales.

Pour les y aider, des banques (ou des consortiums) proposeront des systèmes de paiement électroniques (analogues à TARGET, STET-CORE ou SEPA, mais ouverts directement à toutes les entreprises). Les comptes des entreprises adhérentes seront tenus dans une unité de compte définie par la banque, qui peut être une des 11 monnaies nationales, mais peut aussi être autre chose propre à ce système. Il y aura compensation journalière. Les soldes pourront initialement être réglés en une monnaie nationale choisie par l'entreprise dans une liste proposée par l'opérateur, mais tôt ou tard des opérateurs proposeront de les conserver en compte moyennant rémunération, ne serait-ce que pour éviter des flux monétaires superflus et des frais de gestion pour les firmes (objection de Thomas). A partir de ce moment, ces unités de compte seront devenues de fait des moyens de paiement entre entreprises sur tout le territoire de l'Union, et donc des concurrentes des monnaies nationales.

Il pourra exister plusieurs systèmes concurrents offrant des conditions  différentes, dont des extensions des systèmes actuellement réservés aux seules banques. Les entreprises choisiront ceux qui, tout en ayant un business model durable, leur offriront le maximum de souplesse, les conditions les plus attractives et la meilleure garantie de sécurité. Par sélection concurrentielle, il y aura convergence progressive vers un petit nombre de systèmes (et de monnaies), qui ne seront pas nécessairement ceux des banques centrales (mais si celles-ci se débrouillent bien, elles peuvent aussi bien rester dans la course).

Du coup, de plus en plus d'entreprises afficheront leurs prix dans leur propre monnaie de référence sur tout le territoire de l'Union, et tenteront de pousser leurs clients à les régler dans cette même monnaie. Mais ce mouvement sera probablement plus lent.

Fin du premier épisode.

A suivre en tenant compte de vos commentaires

6 commentaires:

  1. On peut supposer qu'en vertu de la loi de Gresham que tout les mauvaises monnaies diparaîtont pour ne laisser circuler que les meilleurs.
    Pour ce que ca interesse, cette loi est abondemment développée dans l'ouvrage déjà cité de Galbraith qui n'est pas truc machin! D'ailleurs, c'est de circonstance, Samuelson disait qu'alors que tout les prix nobels seront oubliés, les oeuvres de Galbraith seront toujours des oeuvres de référence!
    Machut.J

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  2. Bien sûr ! C'est exactement là-dessus que je compte.
    La question, c'est quelles monnaies seront considérées comme bonnes, et lesquelles comme mauvaises, et pourquoi.
    Cela dit, la loi de Gresham est généralement énoncée comme "la mauvaise monnaie chasse la bonne" et pas l'inverse. Demandez à Gu Si Fang pourquoi dans un marché libre, c'est le contraire.

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  3. euhh oui pardon pour l'énoncé!

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  4. Merci de me tendre la perche que je saisis avec plaisir! La vraie loi de Gresham est "lorsque le cours d'une monnaie est artificiellement surévalué par rapport à une autre, la monnaie sous-évaluée disparaît de la circulation pour être thésaurisée ou exportée." En court on dit parfois "la mauvaise monnaie chasse la bonne" (en oubliant les conditions).

    Il s'agit ici d'expliquer un phénomène différent : "Sur un marché concurrentiel, la bonne monnaie chasse la mauvaise." C'est assez simple. Il faut se mettre à la place du vendeur, qui n'accepte pas d'être payé en n'importe quelle monnaie. Si on lui propose une monnaie qu'il juge mauvaise il la refuse et voilà. Si il ne peut pas reconnaitre la mauvaise monnaie (faux billet par exemple) il se fera avoir une fois ou deux. Si les problèmes sont trop frequents avec un type de billet, il refusera tous les billets de ce type, bons ou mauvais.

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  5. Bonjour Monsieurs,

    Je voulais savoir ce que vous pensiez du dernier ouvrage de robert leroux sur Mises. Comme vous avez l'air d'être un spécialiste de son oeuvre, je me demandais si il serait interessant de l'acheter.

    Cordialement

    Machut.J

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