mercredi 9 décembre 2009

La banque libre - une expérience de pensée

Je propose ici une expérience de pensée collective.

Sur un autre forum a lieu un débat assez vif sur le concept de free banking, un peu d'ailleurs malgré les réticences initiales des tenanciers du forum, et qui a tourné au dialogue de sourds.

Dans un post récent, j'y rappelais le principe de la banque libre : chacun a le droit de choisir de payer et d'être payé avec l'instrument de son choix. Par rapport au système actuel, il n'y a pas de cours légal et pas de privilèges d'émission.


Je rappelais aussi
  • que c'est le système "naturel" qui était en place à l'origine des temps (économiques),
  • qu'un instrument d'échange universel y a émergé,
  • que de toutes les formes possibles d'instruments d'échange, celle qui a été retenue est celle qui est la plus difficile à produire, à savoir les métaux précieux,
  • que la thèse dominante des philosophes et des économistes jusqu'au XXe siècle est que ce régime est une conséquence naturelle de la liberté de paiement,
  • que ce système a été progressivement confisqué par les Etats à travers la monnaie-papier, le cours légal et les privilèges d'émission.
Je posais donc la question : dans l'hypothèse ou le cours légal et les privilèges d'émission seraient maintenant abolis, quel système monétaire émergerait, comment et à quel rythme ?

Dans ce blog, je propose une expérience de pensée à laquelle je convie tous les intéressés. Le début du scénario est le suivant:
En 1999, 11 pays européens, au lieu de remplacer leurs monnaies nationales par l'euro, décident que toutes leurs monnaies existantes peuvent maintenant être utilisées librement dans les 11 pays.

Concrètement, pour chaque produit, chaque fournisseur peut maintenant choisir librement les monnaies dans lesquelles il accepte d'être payé, et tout acheteur la monnaie dans laquelle il veut payer.  C'est une mise en concurrence effective des monnaies nationales existantes et de leurs producteurs les banques centrales sur l'ensemble du territoire de 11 pays, qui recrée sans toucher à l'existant les conditions "naturelles" d'origine.

C'est une décision certes difficile à prendre et lourde de conséquences, au point qu’il est infiniment peu probable qu’elle soit prise un jour. Mais une fois prise, elle est extrêmement facile à exécuter. Sa mise en œuvre par les Etats est infiniment plus simple que ce qu'a été la mise en place de l'euro, et ça peut se faire du jour au lendemain. De plus, bien qu'étant une action de l'Etat, ça ne pose pas de problème de principe pour un libéral, puisque ça consiste à supprimer des contraintes, non à en créer de nouvelles
.
 La question est : que se passe-t-il ensuite ?

Dans les relations clients-fournisseurs à tous les niveaux, la monnaie de règlement devient une dimension supplémentaire de choix et de négociation. Pour les fournisseurs, le choix de la ou des monnaies de règlement devient un élément de leur stratégie concurrentielle.

A mon avis, un certain nombre de choses se mettront en place quasi-immédiatement.
  1.  Il est probable que très rapidement un grand nombre de fournisseurs choisira d'afficher dans chaque pays les prix de ses produits dans la monnaie locale, dans la monnaie du pays du fournisseur et peut-être dans une monnaie qu'il choisit comme monnaie de référence. Par exemple, en Italie, Volvo affichera les prix de ses voitures en lires, en couronnes suédoises et en marks allemands (ce qui demande que Volvo prenne position sur les taux de change qu'il estime corrects). Chaque client choisira la monnaie dans laquelle il veut régler (et s'il veut régler en dollars, ça pourra se négocier).
  2. Même chose pour tous les prix, notamment les salaires.
  3. Pour pallier le problème pratique de coexistence des monnaies, les banques (et probablement d'autres entrepreneurs) offriront des services de change comme il en a toujours existé. Il est aussi probable qu'un ou plusieurs consortiums de banques proposeront des nouveaux systèmesde paiement offrant des monnaies internationales (dont une s'appellera peut-être l'euro), sans doute initialement uniquement sous forme électronique et peut-être initialement destinées aux seules entreprises, qui entreront en concurrence avec les monnaies nationales.
  4. Chacun de ces offreurs de monnaie, y compris les banques centrales, devra faire des efforts de communication pour "vendre" sa monnaie, donc expliquer comment il la gère. De plus, il se développera une critique comparative des monnaies comme il existe une critique gastronomique, des comparatifs des produits, etc. Que choisir ouvrira une rubrique "quelle monnaie choisir ?" Des économistes publieront des ouvrages didactiques destinés au grand public. Au total, l'information du public sur les questions monétaires sera abondante et contradictoire au bon sens du mot.
Et après ? Que feront les Etats, les banques centrales, les banques privées, les entreprises, les consommateurs ? A votre avis ?

24 commentaires:

  1. Bonjour Monsieur,

    Dans son ouvrage L'argent, Galbraith raconte les effets dévastateurs qu'ont eut l'idée que vous développait. Il y explique que au 18ème siècle, il n'y avait pas un village sans qu'une banque ne s'ouvre et avec elle sa propore monnaie...cette politque a été responsable de nombreuses crises!

    Cordialement

    Machut.J

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  2. oui, bon... C'est l'avis de Galbraith...

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  3. Ben oui, c'est pas comme si il y connaissait quelques chose... C'est pas comme vous.

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  4. ya d'autres gens qui y connaissent aussi quelque chose (pas comme moi) qui ont des avis différents

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  5. Je vais nuancer ce que j'ai écrit. j'étais un peu fatigué hier soir ce qui peut expliquer la naiveté de mon propos. En dépit des effets indésirables qui ont accompagné l'instauration de nombreuses banques, Galbraith souligne également que de nombreux paysans et fermiers ont peu acheté des terres grâce aux monnaies emisent par les institutions financières...tout n'est donc pas tout noir dans un système de banque libre...
    cordialement
    Machut.J

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  6. Soit. Mais le propos ici n'est pas de dire ce que Machin ou Truc ont dit de la banque libre, ni d'échanger des arguments pour ou contre. Ca a été largement fait ailleurs : (http://forum.econoclaste.free.fr/read.php?3,8919)

    L'idée est de développer à plusieurs voix, à partir de réflexions personnelles plus ou moins appuyées sur la littérature, un scénario (ou plusieurs scénarios alternatifs) de libération de la concurrence entre monnaies existantes, dans l'espoir d'aider à la réflexion sur la monnaie et les systèmes monétaires

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  7. Là comme ça je vois :
    - une grande majorité de la population qui ne comprendrait rien à rien (moi compris). Certains pensent encore en anciens francs... Sans compter le "home bias" qui fera que 90% des résidents continueront à commercer en monnaie nationale.
    - des flux monétaires complètement incroyables qui rendront le cours des monnaies instable.
    - des frais pour les firmes qui devront se doter d'un service financier supplémentaire pour gérer le risque de change.
    - des dépenses publiques inefficaces pour soutenir les anciennes monnaies nationales comme on le voit pour les champions nationaux.
    - une possibilité de concentration assez rapide des banques nationales via des fusions acquisitions qui donnerait lieu à la création d'une banque centrale... vous conaissez la suite.

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  8. Machut. J. :

    L'épisode narré par Galbraith, c'est avec ou sans intervention de l'état ?

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  9. Merci Thomas

    J'attends d'autres contributions pour prolonger le scénario en y incorporant vos pronostics et les autres.

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  10. @Buster Keaton
    Je ne sais pas et c'est hors sujet. C'est pour ça que j'avais censuré votre post la première fois.

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  11. @ elvin
    Bonjour ;-)

    Tout d’abord, sur les prémisses de votre texte. Je ne comprends pas très bien ce que vous entendez par « le système "naturel" qui était en place à l'origine des temps »
    Je ne comprends pas non plus votre affirmation concernant le choix des métaux précieux. Il y a des exemples (dans la Chine ancienne par exemple) où le fer a été utilisé pour les pièces de monnaie. De même, le Cori est un coquillage qui a été utilisé comme moyen de paiement. Il me semble donc qu’il y a beaucoup d’exemples montrant que l’usage des métaux précieux n’a pas été systématique.

    Quant au scénario que vous proposez, j’avoue ne pas bien comprendre en quoi il diffère fondamentalement de ce qui existait avant l’euro. Toutes les monnaies étaient déjà en concurrence les unes avec les autres, notamment dans les relations commerciales entre firmes. Il est vrai que l’on ne pouvait pas acheter sa baguette avec des livres italiennes par exemple. Mais si ce sont toujours des banques centrales qui ont le privilège d’émission de la monnaie, il me semble que rien ne changera vraiment et qu’une (ou deux ?) monnaie vont finir par s’imposer rapidement. Nous serons alors ramenés au point de départ.
    Il me semble que le vrai changement n’est pas le "free banking" mais l’ "open money" (les monnaies libres). J’en parle entre autre ici (pub) : http://ecodemystificateur.blog.free.fr/index.php?post/2009/06/12/Monnaies-libres%2C-le-futur-commence-aujourd-hui
    Je n’ai pas d’avis arrêté là dessus (je ne suis pas économiste) mais j’avoue être séduit par le principe qui me parait différent de ce que vous proposez, sauf erreur de ma part.

    Quant au forum dont vous parlez au début de votre article, celui des Econoclaste, même si en théorie j’en ai été banni par SM, le kéké marseillais de service, (aussi piètre informaticien qu’économiste), je le parcours avec toujours autant d’étonnement : comment de supposés économistes peuvent-ils considérer la monnaie avec un tel mépris ?
    J’en suis arrivé à penser que l’enseignement de cette discipline est vraiment problématique : comme le faisait remarquer un intervenant sur le forum, il consiste à gaver des oies avec des connaissances qu’elles ne remettent pas en cause et qu’elles utiliseront ensuite pour gaver d’autres oies, visiblement en prenant leur pied à en croire AD. Comment voulez-vous alors que le moindre questionnement soit possible ? A plus forte raison s’il provient de l’extérieur du cercle très fermé des zéconomistes.

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  12. Pour imaginer ce qui se passerait au niveau local, il suffit d'aller faire du tourisme dans un pays en voie de développement et avec une monnaie fluctuante. On y constate que :
    1- certains choisissent de garder des prix en monnaie locale
    2- certains choisissent de tout faire payer en dollars ou en euros
    3- certains affichent 2 tarifs et donc leur taux de change

    Le cas 2 se résume à 2 situations : soit on dispose de dollars et on a plus de mal à comparer les prix avec les concurrents, soit on demande une conversion en monnaie locale et on constate qu'on se fait complètement arnaquer sur le cours par rapport au changeur du coin.

    Dans le cas 3 les prix sont imprimés et donc ne changent pas du jour au lendemain, donc il est facile de choisir la monnaie qui nous arrange et c'est du coup le vendeur qui se fait avoir.

    On constate aussi que la monnaie est finalement choisie par secteurs d'activité. Je ne sais pas si c'en est la conséquence mais cela facilite la comparaison des prix.

    Dans tous les cas la comparaison des prix est difficile et dans tous les cas, on se balade avec plusieurs monnaie pour éviter de se faire avoir.

    Mon pronostic serait donc que chacun commencerait par choisir sa monnaie nationale comme référence jusqu'à ce que des grosses variations de valeur interviennent (ce qui ne manquerait pas), provoquant un changement dans les comportement qui contribuerait à déséquilibrer la monnaie.

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  13. @RST
    Effectivement je n'ai peut-être pas utilisé les bons termes, mais n'ergotons pas là-dessus et concentrons-nous sur l'exercice proposé.
    Je n'ai pas été assez clair : dans mon scénario, les banques centrales restent (au moins initialement) en place et peuvent continuer à gérer leur monnaie comme elles l'entendent, mais elles n'ont plus le monopole d'émission et ne peuvent plus imposer l'utilisation de leur monnaie.
    J'ai lu votre blog. A priori je ne crois pas du tout au système de Noubel, mais ça peut être un élément parmi d'autres du scénario que je propose de développer.
    Sur votre dernier §, je veux éviter les attaques ad hominem quel qu'en soit le fondement. Il est probable que je vais commencer à les censurer. Cela dit, je suis bien d'accord avec vos dernières phrases même si je l'exprime de façon un peu moins abrupte.

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  14. @Pock
    Bien d'accord avec vous. Les consommateurs et les commerçants, tout comme les banques centrales, vont d'abord vouloir que rien ne change.
    Mais que vont faire les entreprises et les banques privées ? Et comment les consommateurs, les commerçants et les banques centrales vont-ils réagir dans un deuxième temps ?

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  15. @RST
    {début de mode hors sujet} (moi j'ai le droit...)
    Je ne voudrais pas que les autres bloggeurs pensent que nous sommes d'accord sur tout. Dans un de vos commentaires, vous avez écrit "il existe encore des économistes sérieux,... Des noms ? Lordon, Gréau, Sapir, Plihon, Généreux, Marris, certains économistes d’Alternatives Economiques…"
    Tous des gens que je considère comme d'ignorants charlatans. Mais ce n'est pas le lieu d'en discuter.
    {fin du mode hors sujet}

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  16. @ Elvin
    {début de mode hors sujet} (moi je prends le droit...)
    A la liste ci-dessus je rajouterai maintenant Pierre-Noël Giraud.
    Que vous ne partagiez pas le point de vue de tous ces gens est tout à fait votre droit. Les qualifier d"'ignorants charlatans" comme vous le faites me parait tout à fait exagéré.

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  17. Pierre-Noêl Giraud : lui, je le trouve excellent (et en plus c'est un copain)

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  18. C'est pénible la modération des commentaires "à priori". Est-ce vraiment indispensable ?
    Alternativement, ne pouvez vous pas éviter cette brimade fort peu démocratique à vos commentateurs connus ?

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  19. Je dirai qu'avec le système actuel chacun est déja libre de vivre sans stocker de monnaie légale. Donc que votre expérience de pensée est caduque car nous sommes déja dans ce monde la :).

    En effet, pour chaque flux financier reçu en monnaie légale chacun est libre d'acheter immédiatement sur les marchés toute autre valeur comme de l'or papier, des actions, un panier de monnaie, etc... pour maintenir son compte en monnaie légale a zéro ou très proche. Avec les technologies d'aujourd'hui c'est tout a fait pratiquable, un compte titre avec acces internet et un telephone mobile connecte a l'internet suffisent. Pour tout flux financier sortant, il suffit de vendre une des valeurs pour le montant du flux.

    L'exposition de cet individu a la monnaie légale devient nulle a toute instant, en gros quelqu'un faisant ce choix dans le système actuel se retrouve instantanément dans votre monde "expérimental".

    Cette liberté étant déja présente a pour vous et moi, la question suivante est : combien de personnes choississent de ne plus dépendre de la monnaie légale ?

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  20. @RST : impossible de distinguer - c'est tout le monde ou personne.
    Je continue à être prudent.

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  21. @ Laurent

    Ce que vous décrivez revient à gérer son porte-monnaie ainsi : vous ne gardez que des dollars sur vous, et à chaque fois que vous voulez payer un cinéma vous changez quelques dollars en euros. C'est faisable mais couteux. Peut-être un peu moins grâce aux technologies modernes, c'est vrai, mais couteux quand même et donc moins liquide que la monnaie légale. L'expérience montre qu'il faut une monnaie vraiment inflationniste pour que les gens renoncent à en détenir et lui préfèrent des devises ou un autre bien.

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  22. Rebonsoir

    Votre expérience de pensée est amusante. Deux facteurs interviendraient je pense:

    1) les coûts relatifs de transaction.

    2) le "sérieux" de l'institut d'émission local.

    Je passe sur le fait qu'à chaque fois que vous signez un chèque, vous émettez de la monnaie... Considérez le nombre de commerçants qui n'acceptent plus les chèques, et vous aurez un résumé assez clair des points 1) et 2).

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  23. Gu Si Fang : j'ai pourtant bien précisé "zero ou tres proche", garder quelques pieces ou un billet dans votre portefeuille, ou quelques centaines d'euros sur votre compte ne change rien a la situation : votre exposition a une devaluation de la monnaie est proche de zero.

    Les couts de transaction sont en effet maintenant extremement faible, le bid ask sur l'or est par exemple a moins de 1 pour mille et les nouveaux intermediaires financiers peu couteux.

    Donc cette liberté est bien présente aujourd'hui. Ce que cela prouve est juste la tartufferie de ceux qui disent qu'on est prisonnier de la monnaie actuellement :).

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  24. Voici mon scénario: la plupart des zones monétaires qui avaient précédé l'existence de l'euro auraient continué d'exister, ne serait-ce que pour des raisons fiscales, à part celles de petits pays ou celles ayant subi une crise grave de leurs taux de change.
    Il est également probable que l'Allemagne se serait opposée à une Markisation pure et simple de l'Europe afin d'éviter d'être implicitement garante des dettes des autres états

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